L’observatoire des politiques économiques en Europe

Pourquoi les nouveaux pays membres de l’Union Européenne sont-ils durement touchés par la crise financière ?
Les nouveaux pays membres de l’UE sont sévèrement touchés par la crise financière mondiale ; la Hongrie et la Lettonie en tout premier lieu. La fragilité des pays d’Europe centrale et orientale est liée à l’accroissement rapide dans une période récente de leur endettement externe en devises étrangères. Les filiales des banques ouest-européennes implantées en Europe centrale et orientale ont joué un rôle de premier plan dans la distribution des crédits aux ménages et aux entreprises. Lorsque la crise financière s’est étendue aux banques ouest-européennes, elles ont brutalement réduit leur activité de crédit entraînant un ralentissement sévère des économies d’Europe centrale dont le dynamisme récent était largement fondé sur le recours à l’endettement.
Pourquoi les PECO ont-ils été épargnés pas la crise asiatique de 1997 et sont-ils fortement impactés par la crise actuelle ?
La crise asiatique de 1997 puisait ses racines dans le développement rapide de l’endettement, tant interne qu’externe, transformant les économies asiatiques en économies d’endettement. Les banques occidentales ont généreusement distribué à partir du début des années 1990 des crédits aux banques asiatiques ; cette phase culmine en 1995-1996. L’arrivée massive de capitaux étrangers a eu un effet expansionniste sur l’offre de monnaie. Les capitaux abondamment prêtés par les banques occidentales aux banques asiatiques ont été réalloués aux agents domestiques par les banques asiatiques. L’abondance de capitaux a poussé des banques asiatiques, dotées d’une capacité insuffisante à discriminer entre bons et mauvais risques, à distribuer aveuglément des crédits. A partir de 1997, une certaine défiance s’installe à l’égard des performances des économies asiatiques, poussant les banques occidentales à ne pas renouveler les crédits –accordés majoritairement à court terme-. Les banques asiatiques répercutent ces restrictions sur les entreprises, qui incapables de rembourser leurs crédits, sont de plus en plus nombreuses à faire faillite. La Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande plongent dans la crise et entraînent dans leur sillage le Brésil et la Russie, ainsi qu’un ensemble d’autres pays émergents.
Quelles sont les spécificités de la crise en Europe centrale et orientale ?
Dans les PECO, la très grande majorité des grandes banques et des actifs bancaires sont entre les mains des banques occidentales, et en particulier de banques autrichiennes, allemandes et italiennes. Le financement de l’économie est donc entre les mains de filiales appartenant à de grandes banques occidentales (Voir Tableau 1). Dans les années 1990, les banques à capitaux étrangers ont racheté des banques privatisées et se sont implantées dans les PECO. Dans la majorité des PECO, les rachats de banques locales se sont accélérés dans la seconde moitié des années 90. Dans cette période, les banques étrangères ne connaissant qu’imparfaitement les marchés locaux, privilégient une distribution parcimonieuse des crédits : seuls les meilleurs risques, à savoir les filiales de multinationales et les co-entreprises avaient aisément accès à des crédits. Au fur et à mesure du renforcement de leur capacité de discrimination des risques, les filiales de banques européennes ont augmenté les volumes de crédits distribués. Les bonnes performances économiques des PECO depuis une dizaine d’années combinées à l’abondance des capitaux disponibles sur les marchés internationaux, ont poussé ces banques à accroître significativement les crédits distribués.
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Tableau 1. Part des actifs bancaires détenus par des banques à capitaux étrangers, en 2007
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Hongrie64,2%Republique tchèque84,8%Pologne75,5%Slovénie28,8%Slovaquie99,0%Estonie98,7%Lettonie63,8%Lituanie91,7%Bulgarie82,3%Roumanie87,3%
Cette domination des filiales de banques occidentales dans les PECO explique le développement rapide de l’endettement extérieur dans une période récente. Les filiales d’Europe centrale des grandes banques ont accédé facilement à des financements internationaux, soit directement par le truchement de leur maison-mère, soit indirectement en passant par les marchés internationaux. Elles se sont ensuite chargées de réallouer ces capitaux aux agents économiques domestiques. Les banques occidentales ont emprunté en devises (notamment en euros), qu’elles ont ensuite prêtées aux agents économiques ce qui leur permettait de ne pas supporter le risque de change. Les obligations de respect de règles prudentielles relatives au risque de change ont également incité les banques à réduire leurs positions ouvertes de change. Quant aux ménages et entreprises des PECO, ils ont parié sur la revalorisation de leur devise nationale du fait du rattrapage économique et ont voulu profiter de taux d’intérêt débiteurs plus faibles d’un emprunt en devise qu’en monnaie locale. Bien que l’augmentation de la part de l’endettement en devises étrangères concerne tous les PECO, les différences entre pays demeurent marquées. Le phénomène demeure limité en République tchèque, Pologne et Slovaquie, ce qui contribue également à expliquer que ces pays n’ont pas sombré dans la crise. Par contre, dans les pays baltes, cette forme d’endettement a augmenté de manière exponentielle : en 2007, le crédit en devises étrangères représentait l’équivalent de 70 % du PIB en Estonie et en Lettonie (IMF, 2008, p.179).
L’appartenance à l’UE protège-t-elle les PECO de la crise ?
On peut considérer que l’entrée des PECO dans l’UE, -en 2004 pour la Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie et pays baltes, et en 2007 pour la Bulgarie et la Roumanie-, a eu deux effets inverses sur la crise financière dans les PECO :
Un « effet atténuateur de crise ». L’appartenance des PECO à l’UE est rassurante pour les marchés financiers, les banquiers et les entreprises. D’abord parce que les pays « in » ont un potentiel de croissance économique supérieur à moyen et long terme par rapport aux pays « out » (dû aux effets économiques positifs de l’intégration économique). Ensuite, parce que la solidarité joue entre les pays de l’UE, même si elle demeure limitée et si l’UE s’oppose à la mise en place d’un plan d’aide global aux PECO. De facto, le Conseil européen de printemps (20 mars 2009) a décidé d’accorder une enveloppe de 50 milliards d’euros destinée à équilibrer la balance des paiements des pays en difficultés, et notamment de la Hongrie et de la Lettonie, et à renforcer la capacité d’intervention du FMI en lui allouant 75 milliards d’euros. Enfin, parce que l’adhésion à l’UE a permis à certains pays –Slovénie et Slovaquie- d’adopter l’euro et donc de les mettre à l’abri des attaques spéculatives qui conduisent à des dépréciations sévères, et plus généralement à une forte volatilité des monnaies des pays d’Europe centrale et orientale.
Eléments bibliographiques
Horvath J., 2009, 2008 Hungarian Financial Crisis, Case Network E-briefs, January. IMF Survey, 2008, November, Vol. 37/1.
Laclias S., Kwiecinski, 2009, Europe centrale et orientale : attachez vos ceintures !, Crédit Agricole Eclairages, Janvier, pp.6-9.
Rodado J.C., Prat S., 2008, La Hongrie n’est pas l’Islande mais demeure le maillon faible de l’Europe centrale, Natixis Special Report, 23 octobre.
Sites internet
Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (BERD/EBRD) :
http://www.ebrd.com/country/sector/econo/stats
et http://www.ebrd.com/new/pressrel/2009/090127.pdf
Eurostat : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/eurostat/home
Rodrick D., Subramanian A., 2008, Why did financial Globalization Disappoint ? : http://ksghome.harvard.edu/~drodrik/Why_Did_FG_Disappoint_March_24_2008.pdf
Eric Rugraff : Université de Strasbourg (BETA)